Auteurs et autrices / Interview de Loïc Dauvillier

Loïc Dauvillier est dessinateur, scénariste, éditeur, et il a toujours un truc sur le feu. Rencontre avec un stakhanoviste du 9ème Art.

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Loïc Dauvillier (Photo : Céline Dauvillier) Bonjour Loïc, tes multiples métiers dans le milieu bédéphile font de toi quelqu’un de surprenant et de passionnant, alors pour ceux qui ne te connaissent pas encore, (!) peux-tu te présenter ?
Passionné par le livre et les techniques d’impression, je crée en 1996 les Editions Charrette. A travers cette structure, je développe avec les auteurs un terrain d’expérimentation et de plaisir. Les Editions Charrette placent l’auteur au centre de la création et je veille à répondre au mieux à leurs attentes.

Sous l’impulsion de Jean-Luc Loyer, je me lance dans l’aventure de l'écriture. En 2004, je travaille avec mon complice Marc Lizano sur le premier opus d’une série jeunesse. Reste à trouver un éditeur pour La petite famille, puisque publier mes ouvrages chez Charrette serait trop facile.

Pour moi, l’éditeur doit prendre suffisamment de recul pour accompagner efficacement la démarche de l’auteur. Je ne tiens pas à tenir deux rôles à la fois. Ceci m’amène naturellement à ne pas publier mes ouvrages au sein de la structure Charrette. Les éditions Carabas me publient dans la collection Crocrodile en octobre 2004, avec le premier tome de La Petite Famille.

Depuis c’est la grande aventure !

Justement, pourquoi Carabas ? A l’époque il n’y avait pas trop d’ouvrages « jeunesse » chez eux, il me semble.
J’ai besoin de sentir la motivation de l’éditeur pour me lancer dans l’aventure. Jérôme Martineau était à fond. Il nous a donné envie de le faire avec lui. C’est aussi simple que ça.

Accéder à la fiche de Une folle aventure de Super cochon (© Efix - Dauvillier - Carabas) Que représente la maison d’édition Charrette pour toi ?
Charrette est un espace de liberté. C’est une structure où les auteurs viennent faire des ouvrages particuliers. Ils sont le capitaine de leur navire ! Je ne suis qu’un vecteur.

Editeur toi-même, qu’est-ce que cela apporte ou pose comme problème dans tes relations professionnelles en tant qu’auteur ?
Il est évident que je regarde les choses autrement mais je tente de ne pas mélanger les genres… Lorsque je suis éditeur, je ne suis pas auteur, et inversement.

Ton actualité est intense, comment t’organises-tu au milieu de tous tes projets ?
J’ai la faculté de pouvoir me diviser… Non ! Franchement, je ne sais pas. Je sais que j’ai besoin de travailler énormément. Mon expérience professionnelle m’aide sûrement à m’organiser. Je ne vois que ça !

Quelle est ta méthode de travail ?
Je n’ai pas une méthode de travail en particulier.
Je fais des plannings que je ne respecte pas mais qui me donnent une base d’organisation. J’adapte ma façon de travailler en fonction de mon partenaire de jeu.

Couverture de Oliver Twist (© Deloye - Dauvillier - Delcourt) En cette année 2007, tu sors coup sur coup un roman graphique très intimiste et deux adaptations d’œuvre de littérature (Oliver Twist de Charles Dickens pour Delcourt et Le portrait pour Carabas). As-tu eu du mal à passer d’un album à l’autre ?
Ce n’est absolument pas un problème. L’adaptation et l’écriture sont deux approches différentes de la profession de scénariste. Pour l’adaptation, je me pose la question du comment raconter. Pour l’écriture, c’est plutôt pourquoi raconter cette histoire.

Lorsque je propose un projet à un éditeur, mon travail est (généralement) terminé. Je ne fais pas un projet dans l’espoir de signer un ouvrage. Je raconte une histoire parce que j’ai la nécessité absolue de la raconter.

Un exemple, bientôt, nous allons présenter le dossier d’une nouvelle histoire (intimiste). La dessinatrice doit encore réaliser les planches pour le dossier. De mon coté, je n’ai pas attendu que le projet soit signé pour découper les 120 pages. Le projet n’est pas signé que j’ai déjà terminé mon travail. Pour les adaptations, le tome 1 d’Oliver Twist sort la semaine prochaine (18 avril), pourtant, j’ai déjà bouclé le scénario du tome 2 et j’attaquerai celui du tome 3 cet été. Je pense qu’il est important de livrer un scénario complet au dessinateur (lorsque c’est possible.)

Accéder à la fiche de Le portrait (© Ravard - Dauvillier - Carabas) As-tu un genre privilégié ?
Je sais que je ne suis pas capable de réaliser un ouvrage de science fiction. Impossible pour moi d’inventer un monde. C’est une gymnastique de l’esprit que je n’ai pas. Je suis très admiratif de Frederik Peeters. Son Lupus est une merveille. Je ne suis pas capable de faire ce genre de transposition des genres. Il utilise le genre SF pour raconter une histoire universelle. J’admire !

Tu es donc susceptible de faire une série humoristique ? Ou du western ?
Pourquoi pas ?!? J’aimerais vraiment faire un western. Ceci dit, il semblerait que le western soit un genre à la mode (Dumontheuil, Blain…etc.). Ce n’est peut-être pas judicieux de se lancer dans ce type de récit maintenant. Sans compter que Monsieur Jean Giraud a bien marqué la place de son empreinte.

Pour l’humour, je pense que La boucherie (à venir aux enfants rouges) n’en manque pas. Je bosse depuis 3 ans sur un récit décalé qui est à classer dans ce registre.

Qu’est-ce qui t’attire dans la littérature russe ?
J’aime les histoires où l’être humain occupe la place centrale. Des histoires fortes avec des caractères forts… La littérature russe possède beaucoup de récit de ce genre.

Accéder à la fiche de Ce qu'il en reste (© D'Aviau - Dauvillier - Les enfants rouges) Comment as-tu proposé Ce qu'il en reste à Nathalie Meulemans ? Avec ce projet, tu inaugures la nouvelle maison d’édition « Les enfants rouges »… C’est un coup de pouce ? Un pari ?
Nathalie Meulemans est avant tout une amie. Lorsqu’elle a lu le texte, elle n’était pas éditrice. D’ailleurs, elle n’a pas lu Ce qu’il en reste mais la suite de l’histoire qui se nomme Théo. Ce récit aborde un thème particulier. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus. Je savais que Nathalie allait se sentir concernée par la problématique et j’avais envie d’avoir son regard sur ce projet.

Quelques années après, Nathalie a monté la structure « les enfants rouges », elle m’a reparlé de Théo et elle a trouvé les mots justes pour me donner envie de faire ce récit avec elle. Entre temps, le projet avait évolué. J’avais envie et besoin de faire Ce qu’il en reste. Elle a compris ma démarche et voilà…

Extrait de Ce qu'il en reste (© D'Aviau - Dauvillier - Les enfants rouges) Ce qu’il en reste est un projet très intimiste axé sur le couple, comment est né ce projet ? Qu’est-ce qui t’a inspiré ?
Lorsque l’on écrit une histoire intimiste, on a besoin de connaître la psychologie des personnages. Nous nous construisons en fonction de notre passé, il en est de même pour les acteurs d’une histoire. J’ai écrit l’histoire Théo et j’ai eu la nécessité de mieux connaître mes personnages.

Je suis un énorme fan de Tati. J’aime cette approche de la description du simple. J’ai déjà abordé cette réflexion dans l’ouvrage Passages à la Fédération Française de Comix. Ce qu’il en reste m’a permis de développer cet aspect de mon travail mais également de développer la psychologie de mes personnages.

J’aimerais que Ce qu'il en reste soit reçu de la même façon qu’une chanson de Dominique A.

Extrait de Passages (© Poursin - Dauvillier - F.F.C.) Peux-tu nous parler de Passages, justement ?
Marc Lizano (La petite famille), Joël Legars (La nuit des cendres) et François Ravard (Le Portrait) se sont lancés dans l’aventure de l’édition. Ils sont les fondateurs de la Fédération Française de Comix. Le but de cette structure est simple. Ils désirent publier leurs travaux mais également inviter des camarades à faire un ouvrage chez eux. Ils m’ont invité en me disant… quartier libre… tu fais ce que tu veux ! J’ai adoré… merci les gars !

Parallèlement, j’étais en contact avec Thibault Poursin. Je lui avais acheté des dessins sur Ebay. Je me suis dit « pourquoi ne pas lui proposer de m’accompagner dans cette aventure. » Le principe de Passages est très simple. On se place à un endroit et on décrit ce que l’on voit. C’est un plan fixe du début à la fin. Passages a une suite, Promenade. L’invitation de la Fédération Française de Comics ne tenait que pour un livre. Promenade est aujourd’hui terminé. Nous attendons que le tirage de Passages soit épuisé (petit tirage) pour fusionner les deux histoires et pouvoir le proposer à un éditeur.

Nous savons que cet ouvrage ne sera pas facile à vendre… mais on a le droit de rêver !

Comment as-tu rencontré Jérôme d’Aviau ? Par l’intermédiaire de son blog ?
Jérôme était en contact avec Marc Lizano. Avec Marc, nous étions en dédicace pour La petite famille. Jérôme est venu le voir. Il m’a montré son carnet (blog). J’ai été sur le cul. Je n’avais malheureusement rien à lui proposer. Deux semaines plus tard, je me suis dit que j’étais un con. J’ai repris contact avec lui pour lui proposer Théo et Ce qu’il en reste.

Que penses-tu d’Internet ?
Que du bien ! Le mail est l’invention la plus extraordinaire que je connaisse.

Et les sites d’avis sur la BD ?
Pour la critique, je n’ai rien à dire. Il est toujours agréable de lire une charmante critique… toujours désagréable d’en lire une mauvaise. C’est la règle du jeu ! Je participe à quelques forums. Ca m’amuse assez !

Accéder à la fiche de La Petite Famille (© Lizano - Dauvillier - Carabas) Le monde de l’enfance est très présent dans ton œuvre, je pense notamment aux titres réalisés pour les Petits Chats carrés mais aussi à La petite famille, comment est née cette série ? (Idée ? Choix du dessinateur ? Rencontre avec Carabas ? )
C’est vrai que j’ai une douceur pour le monde de l’enfance. Je ne me l’explique pas…
La Petite famille, c’est de l’autofiction pour le tome 1 et 2. Le tome 3 ne fait référence qu’à des sentiments que je connais. Pour Carabas, je pensais que c’était une belle rencontre. Je me suis trompé. Je pense qu’il est inutile que je parle de cela dans une interview.

Quel fut l’accueil du public ? Y a t-il eu des interventions scolaires pour cette série ? Quelles anecdotes ou souvenirs peux-tu raconter ?
L’accueil du public est extraordinaire. Dernièrement, on m’a dit « la petite famille, c’est comme un album photo de famille ». Avec Marc, nous vivons des choses extraordinaires. Plusieurs fois, nous avons eu des lecteurs en larmes. Dernièrement, une maman et son fils sont venus me voir durant une séance de dédicace. Le petit garçon n’était pas bien. Il me regardait avec des grands yeux pleins de larme. La maman s’est penchée sur moi pour m’expliquer qu’il avait lu le livre hier et que pour la première fois, il avait réussi à parler de la mort de sa grand-mère. Que voulez vous vivre de plus intense ? Si cette série permet cela, je n’en demande pas plus.

Maintenant, j’aimerais que l’éditeur sache faire son travail. Le tome 3 est passé inaperçu, faute de service de presse ou de promotion. Je ne parle même pas de la non disponibilité du tome 2. Dommage !

A propos de rencontre avec le public, tu es très présent sur les salons, cela est-il très important pour toi ?
Ah bon ! ?! J’ai pourtant l’impression de ne pas être tout le temps en festival.
J’en refuse pas mal de date. Par contre, lorsque j’ai confirmé ma présence sur un festival, Je joue le jeu à 200 %. Je suis disponible pour les lecteurs et je tente d’être derrière ma table le plus souvent possible.

Je pense qu’il y a un vrai problème vis à vis des dédicaces. L’éditeur pense généralement que la promotion d’un ouvrage ne passe que par la dédicace. Le lecteur pense que si un auteur est en dédicace, c’est pour gagner de l’argent. Remettons les pendules à l’heure. Sur La Petite Famille, je touche 3.5% du prix HT. Le livre coûte 10 euros donc, je touche 0.30 euros par ouvrages. Si le festival se passe bien, je signe 100 livres dans le week-end. Par conséquent, je touche 30 euros pour deux jours. Pensez-vous réellement que nous gagnions notre vie en faisant de la dédicace ? Par contre, la rencontre est une chose superbe. C’est pourquoi j’en fais.

Extrait de Le Portrait Que souhaites-tu réaliser à l’avenir (quels sont tes projets ?)
Au niveau des sorties :
- Le 18 avril, aux éditions Delcourt, le tome 1 d’"Oliver Twist" avec Olivier Deloye, Isabelle Merlet et Jean-Jacques Rouger.

- Début Juin, aux éditions Carabas, le tome 2 de Le portrait avec François Ravard et Myriam.

- Mi-juin, aux éditions Les enfants Rouges, "La boucherie" avec Thibault Poursin. La Boucherie se présente comme une bande dessinée « chorale » avec toutefois 2 personnages phares : Mme Lenoir et Le Boucher. Nous sommes dans un village comme il en existe encore. Toute la population a pour habitude de se retrouver au « Penalty », le bistrot du coin et de refaire les événements de la journée.

- Mi-juin, deux histoires dans "Jade", des éditions 6 pieds sous terre. Une avec Mickaël Roux et l’autre avec Deborah Pinto.

Extrait de Nous n’irons plus ensemble au canal Saint-Martin - Juillet ou Août, aux éditions Carabas, "La nuit des cendres" avec Joël Legars. Il s’agit d’un huis clos. Encore un récit intimiste. Un couple organise une fête improvisée… pourquoi ? C’est la question que se pose l’ensemble des invités.

- Octobre 2007, aux éditions Les enfants rouges, un livre choral que je réalise en co-écriture avec Sibylline. Le titre est "Nous n’irons plus ensemble au canal Saint-Martin". Il y aura 3 dessinteurs : Capucine, François Ravard et Jérôme d’Aviau.

- Fin d’année, dans la même collection que Le portrait, l’adaptation de "La douce de Dostoïevski" avec mon camarade Mikaël Allouche.

- Fin d’année, Le tome 2 de "Oliver Twist".

- Et puis un petit lépidoptère pour les supers 6 pieds sous terre. "Mamé" avec Déborah Pinto, plus connue sous le pseudo d’Eosyne.

Pour 2008
- "Théo", la suite de "Ce qu’il en reste" aux éditions les enfants rouges.
- Le tome 3 d’"Oliver Twist".
- Le tome 1 de l’adaptation du "Tour du monde en 80 jours" avec Aude Soleilhac.


Extrait de Pinocchio (© Vassant - Dauvillier) En projet,
Un récit intimiste avec Sandrine Revel qui porte le titre "De l’importance de la pluie"…
Un récit qui aborde le thème de la violence conjugale. Il portera le titre "Inès". C’est Thierry Murat ("Elle ne pleure pas elle chante") qui devrait faire le dessin.
Mon grand projet "Cimetière" avec Alexandre Bonnefoy et pas mal de dessinateurs.
Et toujours notre Pinocchio en 500 pages avec Sébastien Vassant. Si un éditeur est assez fou pour le faire.

Pour qui aimerais-tu écrire ?
Pour celui (ou celle) qui me donnera envie de faire ensemble et qui m’accordera sa confiance !

Quelles sont tes lectures favorites ?
- Littérature – Les classiques, Camus, Topor, Kasak… pas trop de moderne, mise à part mon pote Joseph Incardona… j’aime beaucoup Hygiène de l’assassin...
- Bande dessinée – Rabaté, Prudhomme, Bézian, Buzzeli, Alexis, Goossens, Tardi, Riff, Edith, Pourquié, Calvo…
- Illustrateur – Beuville, Bofa, Bruller, Roca, Lejonc…

Cinéma ?
Tati… le plus grand !
Jarmusch, Wenders, Burton, Sofia Coppola, Miyazaki, Disney, Les séries Télé à la mode ;)

Musiques ?
Des vieux machins comme Killing Joke, Bauhaus, Joy…etc.
Jeff Buckley revient régulièrement, ainsi que Radiohead (NDW : Yeah !).
The Cure… toujours et encore… Gainsbourg, Dominique A, Miossec, Reggiani, Arthur H, Françoiz Breut, Busty Duck, NTM, Sonic Youth, Brel, Brassens…

Loïc, merci.



Visitez le site de Loïc : http://www.loicdauvillier.com/
Et son blog : http://loicdauvillier.over-blog.com/
Interview réalisée le 13/04/2007, par Marie M. (avec la participation de Spooky).