Auteurs et autrices / Interview de Jean-Baptiste Andreae

Remarqué dès sa première œuvre, Jean-Baptiste Andreae a développé un style personnel, à mi-chemin entre trait réaliste et univers fantasmé. Rencontre avec un artiste en constante quête de perfection.

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Jean-Baptiste Andreae Bonjour Jean-Baptiste. Comment es-tu devenu auteur de bandes dessinées ?
Tout d'abord, il y a eu le dessin qui s'est imposé à moi (je ne savais pas faire grand chose d'autre). J'aime avant tout dessiner. Etant jeune, mes souhaits étaient autant de faire de l'illustration que de la bande dessinée. Et puis je me suis laissé balloter au hasard des situations et des rencontres. C'est justement une rencontre, celle avec Mathieu Gallié, qui m'a fait prendre la direction de la BD. Il m'a présenté le scénario de MangeCoeur, et là, PAF ! Je n'ai pas hésité. D'autant que ce que je faisais auparavant ne m'enchantait guère, j'étais illustrateur en pub et infographiste (c'était à la fin des années 80 !). Et puis MangeCoeur a été édité, je me suis beaucoup amusé à le faire, il a été plutôt bien accueilli, alors je me suis dit que c'était ma voie. Et voilà, depuis, je n'ai pas arrêté.

Ahhh, MangeCoeur ! Quel regard jettes-tu sur la série 15 ans plus tard ?
J'y reste très attaché, c'est ma première BD ! Et puis ça a été une chouette collaboration avec Mathieu Gallié. J'ai donc gardé plein de bons souvenirs de cette aventure, et j'ai adoré cette histoire. Cela étant, comme je l'ai dit, c'est ma première BD, avec tout ce que cela comporte : manque d'assurance dans le dessin et la couleur, le découpage n'est pas toujours très pertinent et l'histoire elle-même aurait pu être beaucoup mieux exploitée.

Accéder à la BD MangeCoeur Dans quelles circonstances avais-tu fait la rencontre de Mathieu Gallié ?
Il m'a été présenté par un copain qui savait qu'il écrivait des histoires parallèlement à ses études en médecine. Et puis voilà.

Mais revenons un peu sur tes jeunes années. As-tu suivi une formation particulière pour la colorisation ?
J'ai eu une formation d'illustrateur graphiste. Mais en matière de dessin je crois que j'ai appris l'essentiel tout seul. Pareil pour la couleur. Et je continue d'apprendre car j'ai de terribles lacunes. La couleur a toujours été mon point faible contrairement à ce qu'ont l'air de penser pas mal de gens. Je réfléchis beaucoup à chaque fois que j'aborde la couleur, je me prends beaucoup la tête, je m'énerve et je suis rarement satisfait. En fait, la couleur est quelque chose d'assez douloureux pour moi… mais j'adore ça !

Perfectionniste et masochiste, donc. C’est la recette magique pour parvenir à un tel résultat ?
La recette magique, c'est beaucoup de temps, d'hésitation, de remise en cause, une élaboration très, très progressive car comme je l'ai déjà dit, je n'ai aucune assurance en couleur. Ce n'est pas quelque chose d'inné chez moi. Alors j'avance timidement, pas à pas, en essayant une couleur, puis une autre, etc. Donc j'y passe beaucoup trop de temps, mais il n'y a que comme ça que je m'en sors. La technique en elle-même n'a pas grande importance. J'utilise des encres acryliques et des peintures acryliques.

A côté de la bande dessinée, emploies-tu tes talents dans d’autres domaines (publicité, livres illustrés, peinture, ...) ?
Tout ce que je fais en dehors de la bande dessinée, ce sont des dessins pour le plaisir, des choses que j'ai envie de faire. J'en ai vraiment besoin. C'est ma récréation. Ca me permet d'aborder des thèmes qui me sont chers sans aucune contrainte, et surtout aussi d'essayer des techniques différentes en peinture ou dans mes choix de couleurs. Mon blog en donne une petite idée.

Accéder à la BD Wendigo Après MangeCoeur, tu réalises, toujours avec Mathieu Gallié, Wendigo. Dans quel état d’esprit étiez-vous au moment de commencer cette nouvelle série alors que la précédente avait été unanimement plébiscitée ?
On devait partir sur autre chose après MangeCoeur, mais le scénario n'était pas prêt. Alors Mathieu m'a proposé de faire Wendigo. Ce n'était pas du tout mon univers, autant pour l'histoire que pour le style graphique réaliste que Mathieu attendait pour cette série. J'ai accepté ça comme un challenge. Mais c'était une erreur !

N’avais-tu pas peur de ne pas pouvoir prendre ton pied en tant que coloriste dans cet univers enneigé ?
Pas de problème de ce côté-là puisque je n'ai pas fait les couleurs sur cette série (premier tome : Isabelle Merlet. Deuxième tome : Camille Meyer). C'était un choix de Mathieu et de l'éditeur pour que ça avance plus vite. Là encore, je pense que c'était une erreur.

A la lecture, j’ai toujours eu le sentiment que la série avait été raccourcie en cours de route. Je me trompe ?
Je préfère oublier cette série qui fut une erreur de parcours. Parlons de choses plus réjouissantes !

Accéder à la BD Terre mécanique Terre mécanique est-elle ton œuvre la plus personnelle ? Dans quelle mesure as-tu participé au scénario ?
Je n'ai encore rien fait de réellement personnel. Terre mécanique fut encore une drôle d'aventure ! Lorsque j'ai découvert le scénario écrit par un de mes voisins d'immeuble, Patrick Fitou, j'ai été subjugué par l'univers et les personnages complètement décalés. Tellement que j'en ai oublié de prêter réellement attention à l'histoire en elle-même. C'est une fois le premier tome réalisé, lorsqu'on a attaqué le deuxième, que je me suis rendu compte que Patrick considérait l'histoire comme un prétexte à développer des situations (c'est du moins ce que j'ai compris), et qu'au final cette histoire était sans consistance. Suite à une situation d'incompréhension mutuelle entre Patrick et moi, nous avons mis un terme à notre collaboration et j'ai poursuivi seul, en essayant, sur la base de ce qu'il avait écrit, de retravailler l'intrigue. Ça a été une expérience passionnante, j'ai découvert le plaisir du découpage, de la narration, des dialogues, avec tout ce que cela comporte de difficultés. Je ne sais pas si le résultat est une brillante réussite, quoiqu'il en soit, je me suis vraiment amusé à la faire. Je remercie au passage encore une fois Alfred et Olivier Ka qui m'ont apporté un peu d'aide dans ce travail.

Cliquez pour voir un dessin coquin ! Alice au pays des merveilles semble être une de tes sources d’inspiration. C’est le genre d’univers qui t’attire ?
Evidemment ! Et aussi, du même Lewis Carroll, La chasse au Snarck, un délire absurde parfaitement jubilatoire. Mais il y en a plein d'autres. Par exemple : Les univers de Moebius, de Miyazaki, Carlos Nine. Le baron de Münchausen, Little Nemo. Toute l'œuvre de Dave Cooper. Je suis aussi très amateur de quelqu'un comme Russ Meyer, mais plus pour sa démarche que pour ses réalisations elles-mêmes. Tout ce qui est de l'ordre de l'érotisme fantasmé.

Tiens, à ce sujet. Sur ton site, on peut découvrir quelques dessins, sinon érotiques, du moins coquins. Tu n’as jamais envie d’aller plus loin dans la démarche en réalisant un album dans la même veine ?
C'est mon vœu le plus cher !!! Mais ça viendra ! Jusqu'à maintenant, on ne m'a jamais proposé de choses dans ce sens. C'est pourquoi je me dis qu'il faut que je me mette à écrire !

Enfin, tu me sembles attiré par l’univers du cirque. A quand une série exclusivement consacrée à ce petit monde ?
Je ne suis pas attiré par l'univers du cirque en particulier, mais par tous les univers où la fantaisie, les fantasmes, les délires, etc., prennent le pas sur la réalité. En ce sens, j'ai déjà un embryon de projet personnel que j'espère mener à bien un jour.

Est-ce par peur de te lasser que tu privilégies les séries courtes ?
Dans la mesure où il me faut un peu plus d'un an pour réaliser un album, 4 années sont nécessaires pour achever une trilogie. Et 4 ans, c'est long !

Accéder à la BD La Confrérie du crabe Dernièrement, tu as fini La Confrérie du crabe. Quel regard portes-tu sur la série ?
C'a été une chouette expérience sur le plan graphique. L'univers fantastico-gothique était nouveau pour moi, et j'ai pris beaucoup de plaisir à traduire (tout du moins, à essayer...) ces ambiances sombres en me concentrant davantage sur le jeu des valeurs que sur la couleur elle-même. L'idée de mettre en scène des enfants dans cet univers m'a aussi beaucoup séduit, de même que les différents clins d'oeil aux grandes figures mythiques du cinéma fantastique. Je regrette juste de l'avoir abordé de façon un peu trop réaliste, m'éloignant ainsi de mon style de dessin naturel. Mais, d'un autre coté, un dessin plus caricatural n'aurait pas cadré avec l'histoire. Cependant, je trouve avec le recul que le dessin manque de caractère.

Le thème du cancer, et plus particulièrement du cancer chez l’enfant, est très fort. Dans quelle mesure t’es-tu personnellement investi sur la série ?
Il n'y a aucun investissement personnel de ma part dans l'histoire. Et le thème du cancer n'est pas ce qui m'a séduit. C'est d'ailleurs un projet que j'avais refusé dans un premier temps. Finalement, Mathieu est revenu à la charge et il a été convaincant, alors j'ai accepté.

Le fait d’intégrer autant de monstres sacrés de l’épouvante résulte-t-il d’une demande de ta part ? Cela doit être assez jouissif de pouvoir les croquer !
Il ne s'agit pas d'une demande de ma part, mais ça fait partie des choses qui m'ont plu dans cette histoire. Et c'est effectivement sur les passages où ils apparaissent que je me suis le plus amusé !

Cliquez pour voir une planche du tome 3 de La Confrérie du crabe Pour le dernier tome, le grain du papier a été modifié. C’est un choix économique de l’éditeur ou un choix artistique des auteurs ?
Eh ben... heu… Je n'avais pas remarqué !...

Jusqu’à présent, tu n’as collaboré qu’avec deux scénaristes. Y a-t-il des auteurs avec lesquels tu aimerais travailler un jour ?
Pas spécialement. En fait, je considèrerai que j'ai réussi quelque chose le jour où j'aurai signé le scénario d'un de mes albums !

Aujourd’hui, quels sont tes projets ?
J'entame actuellement une collaboration très prometteuse avec le célèbre et talentueux Wilfrid Lupano, qui a réussi le tour de force de réunir pour moi dans une histoire tout ce que j'aime (ou presque...), c'est complètement fou et parfaitement maitrisé, et il va y avoir un boulot énorme graphiquement. Je n'en dis pas plus. Ce qui est sûr, c'est que ce nouveau projet me permet de revenir à ce que j'aime. J'ai un autre projet parallèlement qui occupe tous mes week-ends : un livre d'illustrations en collaboration avec mon amie et un ami. Il est trop tôt pour en parler davantage. Et puis comme je l'ai déjà dit, j'ai écrit une histoire que je dois continuer à travailler, mais ça, c'est pour plus tard.

Jean-Baptiste Andreae, un grand merci pour nous avoir consacré un peu de ton temps. Nos meilleurs vœux pour 2011 !
Merci de l'intérêt que vous portez à mon travail, et bonne année à vous auss… mais… ça alors ! On est déjà le 20 mars ???!!! Comment est-ce possible ?! Vite, faut que je retourne au travail !

Et oui, Jean-Baptiste n’est pas des plus rapides, même lorsqu’il s’agit de répondre à nos questions. Qu’importe quand le résultat est à la hauteur de l’attente !



A voir :
Le blog de Jean-Baptiste Andreae
Interview réalisée le 02/04/2011, par Mac Arthur, avec la collaboration de Spooky.