Les interviews BD / Interview de Didier Quella-Guyot et Sébastien Morice

Deuxième collaboration de Didier Quella-Guyot et Sébastien Morice, le polar "Papeete 1914" nous emmène en Océanie, aux premières heures de la première guerre mondiale. L'occasion d'aller à la rencontre de ces deux sympathiques auteurs.

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Didier Quella-Guyot et Sébastien Morice Bonjour messieurs, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
D : Ca revient à commencer par le plus dur ! Mais je pense que ce qui suit en dira assez pour faire un petit tour du bédéphile indécrottable que je suis depuis très longtemps. En revanche, je suis venu au scénario assez tard, mais comme le temps ne fait rien à l’affaire, si ce n’est d’aiguiser l’appétit d’écrire encore plus, j’en suis ravi !

S : Quant à moi, je suis un vieux « jeune dessinateur » de 37 ans.
En effet, j'ai entamé une deuxième vie il y a environ trois ans pour réaliser mon rêve de gosse et devenir Auteur-Illustrateur.

Didier, tu as commencé avec une série en deux tomes, « Mélusine, Fée serpente »… Ca parlait de quoi ?
C’était l’adaptation, il y a une dizaine d’années, d’une vieille légende poitevine dont le contenu très heroic fantasy se prêtait bien à une BD. J’espère bien un jour la voir rééditée en un volume. Sophie y avait fait du très beau travail, dessins et couleurs. C’était, quant à moi, mes premières publications BD.

Accéder à la BD Pyramides C’était donc avec Sophie Balland, avec laquelle tu as réalisé plus tard Les Amours de la Roche-Courbon puis la sympathique série Pyramides. L’Egypte… Un vieux rêve ? Un fantasme ?
La série Pyramides est une histoire policière avec un arrière-plan historique documenté et différent pour chaque tome. D’autant qu’on quitte le Paris du début du 19ème pour Alexandrie et Le Caire. Ce qui m’avait particulièrement intéressé à l’époque, c’était de parler d’une Egypte proche de nous dans le temps et notamment du trafic des pièces archéologiques, mais pas seulement. La série est passée inaperçue et je le regrette car je continue de penser qu’on avait fait du bon boulot avec Sophie sur ce projet. C’est mon premier long-métrage ! Il est toujours disponible, cela dit, chez l’éditeur.

Tu t’es penché également, avec Moca et Stéphane de Caneva, sur l’affaire de l’Auberge rouge, cette affaire criminelle qui a secoué le sud de la France dans les années 1830. Dommage qu’elle n’ait pas eu une diffusion plus large, cela m’aurait intéressé de la lire…
C’est toujours possible de la lire car la collection existe toujours et continue de s’étoffer chez De Borée. C’était le premier album de Caneva qui va incessamment être publié chez Delcourt. Le sujet m’avait retenu parce qu’on pouvait l’aborder sous l’angle de la rumeur, cette langue de vipères qui peut entraîner des gens vers la guillotine… C’est pour cela que j’avais accepté la collaboration scénaristique que me proposait Moca et qu’on a parfaitement assumée et assurée.

Hum Les Cagouilles… C’est quoi cette série ?
Ah ! Ah ! Autre mystère poitevin après Mélusine ! Avec Luc Turlan, on réalise des strips animaliers ayant pour anti-héros des non-violents, des végétariens, des adeptes de la lenteur… bref, des escargots ! Les « cagouilles », c’est ainsi qu’on appelle les petit-gris par cheu nous ! Un deuxième tome paraîtra au printemps chez Geste Editions. En fait, j’aime bien l’humour et, curieusement, mes projets humoristiques, n’ont pas encore franchi la rampe éditoriale. Mais je suis têtu…

Accéder à la BD Le Marathon de Safia Pourquoi Le Marathon de Safia n’a-t-il pas connu de petits frères dans la collection Atmosphères Sport ?
Il y a eu 4 albums dans cette collection, chacun centré sur un sport. Pour des raisons expliquées dans le dossier en fin de volume, j’avais choisi d’aborder le marathon, vu du côté féminin, et surtout vu d’une jeune femme musulmane qui tente d’imposer ses choix à sa famille. Il n’était pas question de faire une suite. Ce sont en tout cas de très bonnes planches de Sébastien Verdier qui travaille en ce moment avec Corbeyran.

Sébastien, tu as abandonné ta carrière de futur architecte pour te lancer dans la BD… Pourquoi ?
A vrai dire, malgré mon diplôme en poche, je n'ai jamais réellement exercé la profession d'architecte et mon passage éclair dans la profession n'a pas laissé beaucoup de traces... En revanche, j'ai travaillé une petite dizaine d'année en tant qu'infographiste 2D-3D spécialisé en rendu architectural. Ce qui m'a permis d'allier à la fois mes connaissances techniques, mon goût pour l'illustration, l'image de synthèse et l'animation.

Cependant, légèrement lassé par cette activité, n'ayant jamais cessé de gribouiller sur des coins de cahiers et encouragé par mes proches, la BD a fini par me rattraper il y a 4 ans. Date de mes premiers essais pour un projet steampunk avorté, qui devait paraître chez « 7ème choc ». C'est à la suite de cette mésaventure que j'ai frappé chez Olivier Petit.

Tu as donc fait deux histoires courtes pour les recueils des Editions Petit à petit : "Contes et légendes du moyen-âge" et "Poèmes érotiques de la littérature". Quelles contraintes avais-tu ?
A part les délais, pas vraiment de contraintes. Olivier Petit m'a accordé une totale liberté et je lui suis reconnaissant de m'avoir permis de faire mes premières armes sur ces recueils.

Accéder à la BD Le Café des Colonies Puis c’est la collaboration sur Le Café des Colonies, une adaptation de Maupassant. Comment réunit-on un professeur de lettres et un ex-architecte ?
D : Nous avons été réunis par Olivier Petit auquel j’avais proposé le projet d’adaptation de la nouvelle de Maupassant, « Boitelle » (là, c’est évidemment mon côté prof de lettres !). Je tenais beaucoup à cette histoire sur le racisme paysan dans les campagnes de la fin du 19ème, d’autant que je voulais développer la nouvelle, y ajouter des épisodes. Sébastien s’y est essayé et a fait, pour un premier album, un très beau coup d’essai ! Je ne vais pas dire un coup de maître, sinon il ne va plus se tenir !

Vous vous entendez très bien, puisque vous enchaînez ensemble sur un diptyque chez Emmanuel Proust : "Papeete, 1914". Didier, comment t’est venue l’idée de parler de cet épisode méconnu de la Première guerre mondiale ?
D : Comme la collaboration s’est bien passée au Café, je lui ai proposé d’aller dans un autre café, avec moi, « Chez René », à Papeete ! Il a accepté et Emmanuel Proust a été lui aussi intéressé par cet épisode méconnu que j’avais découvert par hasard. Cet épisode m’avait intrigué mais je n’imaginais pas une seconde ne raconter que lui. Je voulais une fiction, des personnages inventés, bref me servir de cet arrière-plan pour faire travailler mon imagination. Je me rends compte aujourd’hui à quel point c’était une bonne idée, tellement les lecteurs sont attirés par ce métissage Histoire, polar, exotisme…

Accéder à la BD Papeete 1914 J’ai appris, en lisant l’album et les bonus qui l’accompagnent, qu’il y avait alors une reine à Tahiti ? Ce titre n’était plus qu’honorifique, j’imagine ?
Absolument, d’ailleurs c’est indiqué dans la chronologie, en fin de dossier.

Elle semble cependant œuvrer en coulisses. C’est un personnage à suivre de près…
C’est un personnage réel qui reste cependant secondaire dans l’intrigue…

Un autre personnage qui m’a intrigué, est le curé, qui semble peu croire en la Providence lorsque la tourmente s’abat sur Papeete…
Lui, c’est un type inventé mais un sacré caractère ! Comme le héros Combaud ou le photographe Max…

Quelle est la part de fiction, l’apport du scénariste dans ce récit qui se situe dans un épisode véridique ?
C’est simple : au fil du récit historique, j’ai brodé une intrigue policière totalement fictive, la première servant de révélateur de caractères. Un contexte exceptionnel favorise des comportements exceptionnels mais aussi des bassesses, des compromis… Bref, une « comédie de caractères » à l’échelle d’une île lointaine et colonisée ! Ca m’a permis d’opposer les habitants, de valoriser tel ou tel comportement, de travailler les réparties… C’est quelque part une pièce de théâtre qui a pour scène le port de Papeete. Mais rien d’une opérette ! C’est quand même un fait de guerre !

Cliquez pour voir un extrait de Papeete 1914 Papeete 1914 est annoncé en deux tomes. J’imagine que les choses vont s’accélérer dans la seconde partie ?
Elles vont s’accélérer et surtout se compliquer pour tous les personnages mais la résolution de l’énigme policière est à ce prix ! Je peux seulement dire que la clé de l'énigme ne devrait décevoir personne !

Les motivations de Combaud sont encore obscures…
Elles vont évidemment apparaître au grand jour… Mais est-il celui qu’on croit, celui qu’on craint ? Voire !

Simon Combaud pourrait-il vivre d’autres aventures exotiques ?
C’est déjà envisagé puisque nous retrouverons ce personnage dans un second cycle, ailleurs, en 1915… Et, s’il plaît vraiment au public, encore ailleurs, en 1916…

Les Amours de la Roche-Courbon était une adaptation de Pierre Loti, dont l’ombre plane un peu sur Papeete 1914… Est-il un écrivain recommandé par le prof de lettres ?
Totalement ! Je suis né dans la ville de l’écrivain (Rochefort sur Mer) et mon frère, Alain Quella-Villéger, est un des spécialistes incontestés de son œuvre : il a d’ailleurs réuni tous les dessins du romancier dans « Pierre Loti dessinateur » (chez Bleu Autour : http://www.bleu-autour.com/fiche_livre.php?ids=123&titrepage=Actualite) et il vient de raconter dans « Evadées du Harem » (André Versaille éditeur : http://www.andreversailleediteur.com/?livreid=804) comment Loti s’était fait piéger pour ses « Désenchantées » !

Cliquez pour voir un extrait de Papeete 1914 Sébastien, quelle est ta technique pour dessiner et pour coloriser ? Parce que je trouve cela très beau…
Autodidacte, ma technique de dessin se fonde encore essentiellement sur l'observation attentive du travail de mes auteurs favoris et de quelques grands maîtres du dessin. Ensuite, pour des raisons d'efficacité et de souplesse je travaille entièrement en numérique. En effet, je reviens énormément sur mes dessins et ce, jusqu'à ce que la composition et l'attitude des personnages me satisfassent. Cela peut parfois être assez long ! Mes tics d'architecte sur l'exactitude des bâtiments ou des véhicules à représenter me mènent aussi parfois la vie dure mais on ne se refait pas comme ça...

La seconde étape est la mise en lumière. En effet, je travaille l'ambiance lumineuse avant la couleur proprement dite. C'est là que le dessin commence à « vibrer », que les volumes s'amorcent, que l'atmosphère se met en place.

Enfin, la couleur. D'abord des aplats bruts, facilement modifiables afin d'harmoniser la case, puis la planche. Ensuite, je superpose mon ombrage réalisé précédemment et viens le rehausser par de petits éclats lumineux ou un contre-éclairage. Et pour finir parfois, un léger « jus » coloré pour unifier le tout.

Cliquez pour voir un extrait de Papeete 1914 Je pense avoir une approche assez « traditionnelle » de l'outil numérique, ce qui fait qu'énormément de personnes m'imaginent travailler sur papier. Cela m'amuse beaucoup !

Il y a toutefois des ambiances un peu sombres : on est en plein jour, dans un endroit où la lumière est unique, et les personnages sont dans la pénombre (pp.44-48)… Un souci à l’impression ?
S : Ce passage est une transition douce entre une nuit pluvieuse, un petit matin gris et un lever de soleil rougeoyant qui était pour moi un clin d'oeil au sous-titre tout en terminant sur une note dramatique. L'ambiance générale devait donc être assez sombre avant l'explosion finale. Cette pénombre est donc tout à fait assumée et je suis particulièrement satisfait de l'impression.

Qui a décidé de l’aspect tout particulier de l’album ? Cette magnifique couverture, le titre en flamme postale, l’aspect « abîmé » de l’ensemble… ?
S : Si l'illustration de la couverture est la synthèse de longs échanges entre moi, Didier et Emmanuel Proust, l'idée du tampon postal est de Didier et la maquette de l'album est l'oeuvre de l'éditeur. Au final, je suis plutôt fier du résultat !

Cliquez pour voir un extrait de Papeete 1914 Quels sont vos projets respectifs ?
S : D'abord finir le tome 2. Ensuite... je n'aurai pas à chercher très loin ! Les tiroirs de Didier sont bourrés à craquer de bonnes histoires et elles ne demandent qu'à en sortir !

D : J’espère emmener Combaud le plus longtemps possible de par le monde et j’espère aussi concrétiser de nouveaux projets mais il est trop tôt pour en parler. Paraîtront cependant un second Agatha Christie début 2012 avec Thierry Jollet, chez Proust toujours, et un bouquin sur Hergé en avril-mai, à l’Apart Editions. Ainsi que la publication de nouvelles. Je n’oublie pas non plus le projet Spyware avec Jean-Claude Bauer, en cours de financement sur le site Sandawe, a priori pour 2013, sauf si les édinautes se mobilisent rapidement et massivement !

Sébastien et Didier, merci.
Interview réalisée le 19/11/2011, par Spooky.