Auteurs et autrices / Interview de Bruno Marchand

Bruno Marchand n’est pas très connu, mais il a travaillé avec Moebius et sur des séries très marquantes.

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Bruno Marchand Comment es- tu rentré dans la BD ?
J’ai eu mes premiers contacts dans la BD grâce à des concours amateurs alors que j’étais encore à St Luc (Bruxelles). A la remise des prix, dans les membres du jury il y avait des responsables de maisons d’édition, dont entre autres, le rédacteur en chef de « Kuifje » (Tintin en Néerlandais) qui était aussi responsable de De Gulden Engel (maison d’édition qui publiait en néerlandais les albums de Bedescope) Marc Van oppen (alias Marvano). Il m’a permis de rentrer chez Bedescope. Mais Bedescope fait malheureusement faillite trois semaines avant la publication de mon premier album. Marvano me propose alors de faire ses mises en couleurs. De cette collaboration naîtront : La Guerre Eternelle, "Red Knight", Dallas Barr tome 1 à 4 & Libre à jamais 1&2.

Un ami et voisin, Olivier Grenson, m’a aussi confié les couleurs du premier Carland Cross et un autre ami, Philippe Wurm me confie Le Cercle des sentinelles tome 1&2.

J’arrêtais les mises en couleur lorsque je travaillais sur mes propres projets comme "Little Nemo" et je les reprenais lorsque les projets personnels étaient en suspens.

Accéder à la BD Little Nemo Comment est né justement ce projet de Little Nemo ?
Un jour, je téléphone au journal Spirou, on me propose d’illustrer un article sur les poissons. Je n’ai pas de documentation adéquate, or Frank Pé vient de faire les baleines publiques (Broussaille), je vais donc chez lui pour qu’il m’en prête. Il est en train de dessiner des planches en couleur directes superbes pour une édition « spécial rêve » du magazine « A Suivre ». Un « Spécial Rêve », je veux être dedans ! J’appelle le soir même le responsable de publication qui était ami de Moebius (car Moebius était l’invité principal de ce numéro). Il avait vu mes couleurs pour la « Guerre Eternelle » et m’a proposé de faire 4 planches, sans garantie d’être publié. Finalement elles sont passées ! L’éditeur a montré les planches à Moebius et lui a proposé de me confier le dessin de son projet de « Little Nemo » qui traînait dans ses tiroirs depuis longtemps. J’ai ensuite rencontré Moebius à Paris, j’étais venu avec une planche d’essai et il m’a accordé ma chance.

Comment se passe justement la collaboration avec Moebius sur "Little Nemo" ?
J’ai reçu en 1992 un manuscrit fait en 1985, soit 7 ans avant notre rencontre ; il avait écrit des scénarios pour un dessin animé japonais. Il y avait plusieurs versions et il souhaitait qu’une des versions soit dessinée par un autre dessinateur. J’ai juste reçu ce premier jet sous forme de texte avec des ratures qui racontait une histoire, sans dialogue. Je lui ai proposé de faire l’adaptation BD, il a accepté et on ne s’est plus revus pendant 3 ans. Il m’a envoyé quelques croquis au crayon du château par exemple, puis sur base de l’histoire, en interprétant, en rajoutant des scènes et en en modifiant d’autres j’ai réalisé Little Nemo. Comme le texte était pensé pour un dessin animé je devais adapter de grandes scènes sonores, par exemple 200 pianos qui jouent de la musique ensemble : ça je l’ai supprimé car en BD je n’ai pas d’effet sonore possible et en plus je n’avais pas envie de dessiner 200 pianos ! J’envoyais les planches à Casterman et j’ai travaillé ainsi pendant 3 ans. Une grande liberté que j’ai retrouvée ensuite chez Quadrants. J’aime travailler comme ça !

Puis un trou avant de reprendre 5 ans plus tard ?
En fait quatre ans plus tard, je propose à Casterman de faire une suite de "Little Nemo". L’éditeur va discuter pendant un an avec Moebius des droits et je vais repartir pour deux tomes tout seul pendant deux ans.

Accéder à la BD Quelques pas vers la lumière Ton projet le plus personnel arrive plus tard avec Quelques pas vers la lumière ?
Avec la naissance de Quadrants, effectivement mais Nemo était déjà quelque chose de très personnel

Ton style graphique change entre Little Nemo et Quelques pas vers la lumière, d’où vient cette évolution ?
Casterman m’avait proposé de Faire un spin off de Lefranc en 2004, j’ai orienté mon travail vers le style Lefranc en conséquence, or « Quelques pas …» arrive quand Lefranc se dérobe, j’en garde l’évolution du style malgré le report du projet initial. Grâce à ce projet je suis devenu un amoureux de ces dessins classiques et de ces BD classiques.

Un commentaire sur BDtheque parle de ton dessin comme ayant un graphisme à la Blake et Mortimer avec en sus une dimension romantique absente à l’époque…
Ce qui a fait dire aussi à certains un mélange entre Jacobs et Cosey. Cette comparaison me ravit car ce sont mes deux influences majeures. Graphiquement Cosey me fait rêver et peut m’influencer. Quand j’entends cette comparaison mon rêve se réalise. Si on retire l’aspect financier Quelques pas vers la lumière est une aventure parfaite, je voulais faire ce projet depuis 16 ans, un éditeur nouveau arrive et dit on le fait, tout est parfait sauf le business. A 400 € net par mois sur cet album il est difficile de payer son loyer !

Ta façon de dessiner se fait d’après maquettes, photos, films ou tous supports te permettant de voir l’objet que tu veux dessiner sous le profil idoine, ce qui nécessite un travail de documentation colossal, quel fut ton morceau de bravoure ?
L’aéroport d’Orly sur 6 pages dans le tome 2, j’avais envie de m’attarder pour que ce ne soit pas uniquement un avion qui décolle. J’admire les auteurs comme Jijé dans Jean Valhardi qui donnent l’impression au lecteur d’avoir tout vu sans rien montrer, on voit un bout de détail et on reconstitue seul ce qui n’est pas montré. Je ne voulais pas faire ça, j’avais envie de montrer, çà a l’air facile car un aéroport ce sont des grandes salles ou des vastes tarmacs, mais en fait c’est très difficile car il faut trouver la documentation. Comme c’est Orly 2 qui n’a existé que 4-5 ans entre Orly 1 et Orly 3, j’ai dû trouver, entre autres, un film qui soit tourné pendant cette période 55-59 avec des vues exploitables. Des critiques ont dit que ce n’était pas possible d’être aussi lent sur cette scène mais je voulais cette lenteur.

Une planche de Quelques pas vers la lumière tome 5 - Le Livre de la vie Justement ce qui ressort dans les avis des amateurs du 9eme Art, c’est une certaine lenteur dans ta narration… Pourquoi un tel rythme ?
Il y a tellement de choses que je voulais montrer que cela a ralenti le récit, je n’ai pas choisi d’être lent. J’ai montré çà pour le plaisir, mon carburant, c’est le plaisir, je ne peux pas fonctionner autrement, j’ai un plaisir fou à chercher chez les bouquinistes des documents des années 50, j’ai un bonheur à me dire que je peux le restituer dans un contexte, le mettre en situation. Comme je fais un très gros travail de documentation, je n’ai pas envie de faire trois vues et de passer à autre chose, j’ai envie de montrer le décor de mon scénario. Ce n’est pas le décor qui s’accorde à mon scénario mais mon scénario qui s’adapte au décor que je prends plaisir à montrer.

J’ai vu une évolution de rythme entre le premier cycle et le second, est-ce exact ?
Là j’ai choisi, j’ai tellement entendu « c’est trop lent », que j’ai tempéré et essayé d’être plus rapide. Mais il y a aussi une différence de fond, dans le premier cycle tout ce qui se passe est à 100% des choses vécues, réelles, le contexte est fictif mais les évènements sont réels. Le second cycle c’est de l’invention pure, j’avais moins d’anecdotes à raconter, moins de digressions à faire.

Ton futur ?
J’ai refusé beaucoup de projets car, si ne suis pas porté par l’envie, je sais que je ne vais pas y arriver. Je donne tout ce que j’ai donc j’ai besoin de passion pour travailler sur un projet. Je souhaiterais rester dans des histoires se déroulant dans les années 50, c’est la période qui m’attire le plus

Un message à faire passer ?
Çà a été un immense plaisir de faire la série Quelques pas vers la lumière pendant 7 ans, j’espère pouvoir créer une autre série très bientôt
Interview réalisée le 07/07/2014, par Roedlingen.