Les derniers avis (105162 avis)

Par Ro
Note: 3/5
Couverture de la série La Ride
La Ride

Etonnante mais pas désagréable cette BD. Etonnante parce qu'elle se contente au final de raconter un voyage en vélo fait par les auteurs ou leurs alter-ego entre Paris et la Bourgogne. Rien de plus exotique mais en même temps une vraie expédition, comme un départ à l'aventure avec comme seuls bagages un vélo, de l'argent et de petits sacs pas trop remplis. L'objectif : quitter la routine de la vie parisienne et retourner aux sources de la région natale de l'un des deux, tout en redécouvrant la France authentique et en se donnant des défis cyclistes. Les deux héros aiment en effet le vélo et même s'ils ne sont pas des coureurs exceptionnels, ils ont le sens de l'effort sportif et savent se réjouir d'avoir surmonté le défi de faire une grande distance à vélo ou d'avoir monté un col difficile. Le graphisme est intéressant, avec une personnalité plutôt originale, et le rendu est efficace et souvent assez esthétique. J'aime bien. On est donc embarqués avec ces deux là dans une aventure que finalement n'importe quel français pourrait faire s'il avait le courage que je n'ai pas d'enfourcher un vélo et d'être prêt à pédaler pendant plus d'une semaine. En chemin, ils font des rencontres, bonnes ou mauvaises, subissent des galères mais aussi des bonnes surprises, sont déçus ou charmés par les paysages découverts. Et mine de rien, il y a un vrai sens de partir à l'aventure et d'être emmené avec eux dans leur récit. C'est ça que j'ai apprécié dans cet album. Et pourtant en même temps, le récit ne décolle jamais vraiment. Il n'y a pas de thématique précise qui s'impose autre que le parcours à vélo des deux personnages et leurs pensées du moment, pas toujours passionnantes d'ailleurs. C'est sympathique, presque dépaysant alors que c'est la France d'à côté de chez vous, mais l'ensemble se révèle juste agréable sans être davantage enthousiasmant.

25/04/2024 (modifier)
Couverture de la série L'Odyssée de l'espace - Une histoire de la conquête spatiale
L'Odyssée de l'espace - Une histoire de la conquête spatiale

Les amateurs de l’histoire de la conquête spatiale ne découvriront aucun scoop dans cet album, pas d’informations nouvelles. Mais par contre on a là une somme à la fois intéressante et complète de ce que fut cette épopée. Les premières pages rappellent, l’attrait qu’ont exercé les astres et les cieux sur les Hommes, depuis la « nuit des temps ». Ce rappel historique est clair et bien fait, et il conditionne, avec l’évolution des connaissances et des appétences, le grand bond en avant – ou plutôt en hauteur – de la seconde moitié du XXème siècle. A partir des essais de von Braun durant la seconde guerre mondiale (et sa récupération par les Américains – petit point éthique qui aurait peut-être mérité une remarque, même si ça n’est pas le cœur du sujet), tout s’accélère, surtout durant la guerre froide, où les deux « grands » se lancent dans une course aux étoiles, pour des besoins militaires, mais aussi de prestige. Le gros de l’album se concentre donc sur cette période, mais aussi sur l’après guerre froide, jusqu’à aujourd’hui. Et je dois dire que la narration d'Arnaud Delalande est claire et fluide, n’ennuie jamais, même lorsque moult connaissances sont présentées au lecteur. Les aspects techniques, humains, sont exposés de façon à ce que tous les lecteurs s’y retrouvent, quelque soient leurs connaissances dans le domaine, et même si certains détails sont pointus et quasi exhaustif (l’ouvrage est publié en collaboration avec l’Agence spatiale européenne et la Société astronomique de France). J’ai vraiment bien aimé ma lecture, alors même que je ne suis a priori pas attiré par les sciences. Cette lecture est d’autant plus agréable que le dessin d’Eric Lambert est lui aussi clair et fluide. Un style classique réaliste très agréable, qui use bien d’un Noir et Blanc au trait fin (jouant aussi sur des nuances de gris), avec une mise en page aérée et dynamique. Une chouette lecture en tout cas, qui ravira les passionnés du sujet, mais qui intéressera sans aucun doute un lectorat plus large.

25/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Labyrinthe inachevé
Le Labyrinthe inachevé

Perdre le fil - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il regroupe les cinq épisodes, tous doubles, de la minisérie, initialement parus en 2021/2022, écrits, dessinés et encrés par Jeff Lemire, avec un lettrage réalisé par Steve Wands. Il contient les couvertures originales de Lemire, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Andrea Sorrentino, Dustin Nguyen, Gabriel Hernández Walta, Werther Dell’Edera, Dean Ormston, Matt Kindt. Il s’achève avec une postface de six pages dans laquelle l’auteur évoque la période de gestation de l’œuvre, l’influence de l’écriture de Haruki Murakami dont il avait lu plusieurs livres, sa volonté de faire quelque chose de différent de la précédente série qu’il avait écrite et dessinée, l’extraordinaire ROYAL CITY, une visite et une discussion déterminante avec son ami Matt Kindt, la décision de choisir un environnement urbain de grande ville à partir de quartiers réels de Toronto, la difficulté pour lui de créer les couvertures, trouvant finalement l’inspiration auprès des illustrations de Greg Ruth et de Michael Cho. William Warren se souvient de sa fille Wendy, décédé avant d’avoir atteint l’âge adulte. Il se rappelle qu’il avait un vieux pull rouge avec des motifs, et qu’elle le portait chaque fois qu’elle en avait l’occasion. Son épouse Elena ne l’aimait pas, et il sentait la naphtaline. Elena essayait de le jeter mais Wendy le retrouvait dans la poubelle et le récupérait. Will ne sait pas pour quelle raison elle l’aimait autant, mais maintenant quand il se souvient d’elle, c’est toujours dans ce pull rouge, avec ses mailles qui se défaisaient, et quelques bouts de laine qui s’enroulaient en tirebouchon. Au temps présent, Will est dans le métro, en train de se rendre au boulot : il exerce le métier d’inspecteur de la construction. Il ne comprend pas pourquoi il se souvient si bien de ce pull, alors qu’il a oublié les traits du visage de sa fille. C’est comme si chaque jour qui passe, et chaque pas effectué l’éloignent un peu plus d’elle. Mais il ne peut pas remonter le temps. William arrive à son bureau. Ses collègues le saluent l’un d’eux lui propose son aide pour le gros dossier qui vient de lui tomber dessus. Il s’installe à son bureau et commence à tracer un trait rouge sur un plan : ça fait dix ans et il a oublié autre chose. Un collègue s’approche de lui pour lui proposer d’aller boire un pot pour l’anniversaire de Chuck. Will décline l’offre, il préfère se rendre sur son premier chantier. Il quitte son cubicule et se met en route. Sur le site de construction d’un immeuble, il fait observer au contremaître que les barres d’armature sont trop espacées et qu’il va falloir casser et refaire. Son interlocuteur lui demande son indulgence : ça va lui demander une semaine supplémentaire. Will maintient poliment sa position, et indique qu’il repassera vendredi. Il s’éloigne tout en pensant à la pièce qu’il a à l’intérieur de lui, celle où se trouvent ses souvenirs de sa fille. Il s’y rend mentalement et en ouvre la porte. Elle est là allongée par terre, dans son pull rouge, sans traits de visage, en train de résoudre un labyrinthe dans un recueil de labyrinthes. Il la serre dans ses bras. La carrière d’auteur de comics de Jeff Lemire a débuté dans la seconde moitié des années 2000, avec des récits indépendants, à savoir la trilogie ESSEX COUNTY. Par la suite, il a continué à créer des comics indépendants, avec un passage de scénariste pour DC (Animal Man, Frankenstein agent of S.H.A.D.E., Green Arrow avec Andrea Sorrentino pour ce dernier) et pour Marvel (Extraordinary X-Men, Old Man Logan, Moon Knight). Il a également écrit pour Valiant Comics avec la série Bloodshot. Il a développé ses propres séries, y compris un univers partagé de superhéros : Black Hammer. De temps à autre, il réalise un récit plus personnel dont il assure également les dessins, comme l’émouvant Royal City, le rude Roughneck (Winter Road), ou bien le présent récit. Dès la première page, le lecteur comprend qu’il s’agit d’une histoire de perte d’un être cher : Wendy est décédée à l’âge de onze ans, et son père n’a pas achevé son deuil. Voilà qu’un signe se manifeste laissant planer le doute : il est peut-être possible de la joindre, et son père se raccroche de toute sa force à cette éventualité. S’il s’est résigné au décès de sa fille, il ne l’a pas accepté. Le lecteur fait connaissance avec William Warren, surnommé Will, inspecteur de la construction, un fonctionnaire de la ville de Toronto, même si elle n’est pas nommée dans le récit, Lemire le précise dans le dossier en fin de tome. Sa vie est devenue mécanique, une routine répétée chaque jour, pour ne plus ressentir, parce qu’il n’a plus de raison de vivre, mais aussi parce qu’il ne veut pas aller de l’avant et reconnaître que sa fille est partie définitivement. Son épouse a divorcé, elle s’est remariée avec un dénommé Daniel, et ils ont eu un fils Jack : elle a refait sa vie. Ses collègues essayent de le tirer de sa solitude choisie, en l’invitant à prendre un verre, ce qu’il refuse systématiquement. Sa voisine Lisa lui adresse régulièrement la parole, essayant d’établir un contact amical. Pour autant, Will a fait le choix très conscient de rester isolé, de conserver ses souvenirs de sa fille dont il ne parvient déjà plus à se souvenir des traits du visage. Une nuit, il est persuadé d’avoir reçu un appel téléphonique de quelques secondes, cela ne peut être qu’elle. Cela suffit pour qu’il se mette en tête de la retrouver, en se raccrochant à ce qu’il lui apparaît comme un bout de laine rouge, et en se plongeant dans ces labyrinthes qui étaient sa passion. Un fil rouge, un labyrinthe : l’inspiration est transparente, elle provient du mythe de Thésée, avec le labyrinthe, le fil d’Ariane, et peut-être un Minotaure tapi quelque part. De manière implicite, l’esprit du lecteur lui souffle qu’il n’y a aucun suspense dans cette histoire, pas vraiment une intrigue. Le monde dans lequel Will évolue est très prosaïque et l’irruption de la féerie ou du surnaturel s’avère fort improbable. Même s’il ne met pas en marche son esprit critique, il ne voit pas comment le décès de Wendy pourrait être remis en question. L’enjeu réside dans un récit intimiste, l’équilibre instable de l’état d’esprit de Will. Va-t-il se réfugier dans un monde de fantaisie, en choisissant de se comporter comme s’il restait une possibilité que sa fille soit en vie quelque part ? Va-t-il sombrer en reconnaissant la réalité brutale de son décès ? La manière de dessiner de l’artiste convent parfaitement à ce récit intimiste et à la personnalité de William Warren : des traits lâches irréguliers, avec un rendu en apparence négligé comme celui de Will. Des apparences âpres, sans souci d’embellissement, sans volonté de paraître agréable, à l’image de l’état d’esprit de Will. Les traits de contour sont irréguliers, souvent fins et presque malhabiles, en particulier pour les visages, les coiffures, les vêtements. Les décors sont représentés sommairement. Pour autant cette manière de transcrire la réalité conserve toute l’immédiateté des personnages, toute leur expressivité. Dans un premier temps, la narration visuelle peut donner une sensation parfois un peu pauvre. Il est vrai que l’auteur a choisi de faire usage de la décompression pour que le lecteur prenne le temps de s’imprégner de l’état d’esprit de Will, de subodorer ses états d’âme. Ainsi dans le premier épisode, il réalise un dessin en double page, avec uniquement un fil rouge qui part de la gauche et finit à droite séparant le tiers en bas de page du reste, avec un effet de nuage ou d’eau à l’aquarelle pour tout fond, et un cartouche qui ne contient que deux mots : onze ans. Deux pages plus loin, une autre double page avec la silhouette de Will et le même fil rouge, cette fois-ci décrivant des arabesques de part et d’autre de son corps, et remplissant ce dernier comme avec un gribouillis. La moitié du chapitre quatre est composé de Will et du chien Vern qui déambulent dans les rues vides. Dans le même épisode, Lemire réalise quatre pages avec quatre cases de la largeur de la page, et juste la tête de Will qui progresse lentement dans les ténèbres. Mais ça correspond également à une forme d’anesthésie de Will par rapport à la manière dont il vit son quotidien. Par ce mode narratif, la détresse de Will est poignante : son intensité ne se manifeste pas des accès de dépression ou par de la colère, mais elle est très profonde et elle étouffe son élan vital. Sans recours à des termes psychologiques ou psychanalytiques, Jeff Lemire fait partager la détresse de cet homme, un non-dit sur la culpabilité qu’il éprouve, sentiment qu’il refuse de s’avouer, sa manière très efficace de détourner toute chaleur humaine, à la fois parce qu’il estime qu’il ne mérite pas ce genre de relation positive, à la fois parce qu’il ne veut pas que de nouveaux sentiments positifs viennent accélérer l’effacement de ceux liés à sa fille. Le lecteur voit bien la manière dont la situation et le comportement de Will répondent au mythe de Thésée, comment le labyrinthe devient la métaphore de son cheminent intérieur. Il est perdu dans un labyrinthe émotionnel, celui du deuil, et il erre à l’intérieur sans volonté d’en sortir, sans méthode pour chercher la sortie… ou le centre du labyrinthe. Au fil des pages, l’évidence de cette métaphore devient telle que le lecteur peut se dire que c’est trop facile, trop téléphoné. Dans le même temps, cette image illustre avec une justesse parfaite le dilemme de Will, ainsi que le processus mental et émotionnel à l’œuvre, la manière dont sa volonté de conserver à tout prix le souvenir même de sa fille, l’être humain qu’elle a été, le conduit à se montrer actif, un paradoxe puisque l’action induit de nouvelles expériences et donc le début de changement qu’il redoute tant, qu’il a tout fait pour éviter, ce changement qui induit l‘éloignement des souvenirs, une autre forme d’abandon de sa fille qu’il est impuissant à combattre. Jeff Lemire a montré à plusieurs reprises dans ses récits les plus personnels qu’en tant qu’auteur, il a des thèmes de prédilection, comme les relations au sein d’une famille et le deuil. Il a également fait preuve à plusieurs reprises d’une sensibilité d’une grande justesse et d’un grand talent pour faire ressentir les émotions associées à ces thèmes. Ce récit se situe dans cette veine, les idiosyncrasies de sa narration visuelle faisant sens au regard de ce qu’il raconte, l’apparence fruste de ses dessins exprimant l’état d’esprit du personnage. Le lecteur ne peut pas rester de marbre devant une telle honnêteté émotionnelle, une empathie si bien exprimée. En fonction de sa propre sensibilité, il peut éventuellement ressentir que Jeff Lemire l’avait plus touché dans Royal City ou dans Rough Neck, ou au contraire que Mazebook est plus poignant.

25/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Notre-Dame de Paris (Bess)
Notre-Dame de Paris (Bess)

Avec ses 2 précédentes adaptations, l’auteur jouit déjà d’une belle côte sur le site. Alors que je les possède, j’avoue ne pas les avoir encore lues, du coup je suis tout étonné d’être le premier à aviser cet album. Mon regard sera donc vierge de toutes comparaisons, et je suis bien content de découvrir le travail de Georges Bess avec ce classique de Victor Hugo. Alors attention ne vous y méprenez pas, j’ai zéro affinité avec ce récit (comme d’autres à priori, vu que c’était toujours pas posté ;), mais quand je vois la qualité et le soin apporté à l’ouvrage, je me dis que je vais encore plus me régaler avec les 2 autres à l’aura bien supérieure dans ma petite tête. Précisons également que j’ai découvert cette version dans l’édition Prestige (Big format N&B), ce qu’on pourrait penser être une force, c’est transformé en sa plus grosse faiblesse mais j’y reviendrais, parlons d’abord du contenu. Je ne suis pas un grand connaisseur de l’œuvre originale et je dois dire que je n’en serai toujours pas un grand admirateur en sortie de lecture. Malgré ça, je pense que cette version enterre toutes les autres, finit les versions édulcorées de Disney, les comédies musicales … ici on est dans de l’authentique et fidèle, l’auteur rend honneur au matériau de base, pas de digressions inutiles. Il met son talent graphique au service du récit, c’est parfaitement séquencé et réalisé. Quasimodo est aussi laid qu’Esmeralda est belle, matez leurs apparitions dans la galerie. Honnêtement, le candidat parfait pour cette fresque romanesque, j’ai aimé me plonger dans ce classique de si belle manière. J’ai tout de même un tout petit reproche sur la fin, qui ne m’a pas laissé aussi ému que souhaité, et je n’arrive pas à déterminer si ce n’est tout simplement pas le roman ?! Je ne peux que constater que c’est super bien écrit, les nombreux encarts sont là pour nous le rappeler, je reconnais également le mythe même si il peine à me convaincre totalement dans son déroulé. Revenons maintenant à l’édition prestige, qui c’est avérée une déception. Je ne saurais que trop vous conseillez de privilégier la version classique, plus maniable et surtout bien plus belle à mes yeux. Le grand format et l’absence de lavis en arrière plan en font certes un bel objet, mais le dessin m’a paru nettement moins beau, les planches paraissent bien plus vides et le trait imprécis (un comble !), par contre les plus chargées sont sublimes. En tout cas et pour conclure, même si on n’est pas fan de Frollo, Phoebus & co, ça n’enlève en rien le bon ressenti final et le beau travail de l’auteur, qui livre un classique d’un classique.

25/04/2024 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Fileuses de soie
Fileuses de soie

« Fileuses de soie » est une fiction basée sur des faits réels et affligeants, à savoir les usines-couvents du 19ème siècle / début du 20eme siècle en France. Je vous laisse lire la fiche Wikipédia (l’album propose également un mini-dossier instructif illustré de photos de l’époque). Ces usines me rappellent d’ailleurs un peu les Couvent de la Madeleine en Irlande (voir ici), autre épisode honteux de notre Histoire récente. Ces « usines-pensionnats », sortes de prisons à ciel ouvert gouvernées par le patronat mais aussi les religieuses, exploitaient pour un salaire dérisoire des jeunes femmes démunies et peu cultivées, tout en leur infligeant une éducation religieuse stricte, pour en faire « de bonnes femmes à marier ». Le ton est donc féministe, mais aussi politique, puisque ces usines faisaient de leur mieux pour isoler les pensionnaires des courants communistes et grévistes de l’époque. Un contexte social lourd de sens, donc, mais l’histoire est très humaine et suit le parcours et les déboires d’Henriette, une jeune femme attachante au possible. J’ai englouti les 140 pages du récit, appris beaucoup de choses, et surtout passé un excellent moment de lecture. La réalisation est parfaite : narration fluide, dessin lisible et élégant. Un album passionnant, un grand bravo aux autrices-eurs.

25/04/2024 (modifier)
Par Gaston
Note: 3/5
Couverture de la série Le Cas Alan Turing
Le Cas Alan Turing

2.5 Je connaissais les grandes lignes de la vie d'Alan Turing et c'est peut-être une des raisons qui explique pourquoi j'ai moyennement accroché à cette biographie. Il faut dire aussi que ce qui m'intéressais le plus c'était la vie privée du pauvre Turing qui était homosexuel dans une époque où c'était un crime et on voit surtout tout ce qui tourne autour des codes de l'Enigma. Disons que voir comment les britanniques vont déchiffrer le code n'est pas très palpitant lorsqu'on sait déjà comment ça va finir. J'ai mieux accroché lorsque l'action se déplace après la guerre et qu'on voit comment l'Angleterre a maltraité Turing qui était pourtant un héros de guerre, mais c'est juste une petite partie du scénario. Une autre raison pourquoi je n'ai pas trop accroché est le dessin. C'est du réaliste pas du tout agréable à regarder et un peu figé qui donne l'impression qu'on a juste dessiné par-dessus des photos. J'ai aussi trouvé la mise en scène un peu lourde. Par exemple, Turing s'est suicidé en mangeant une pomme empoissé alors tout le long de l'album on va avoir droit à des allusions au Blanche-Neige de Disney. Qu'on fasse une allusion symbolique au film, pourquoi pas, mais à répétition cela devient juste irritant. On va dire que c'est un album pour ceux qui ne connaissent rien à ce personnage historique.

24/04/2024 (modifier)
Par Hervé
Note: 2/5
Couverture de la série Quelque chose de froid
Quelque chose de froid

Je n'ai guère été convaincu par cet album, pourtant que j'attendais avec impatience. Au vu des auteurs, Pelaez qui a signé de très bon albums depuis quelques temps et Labiano, dessinateur emblématique de la série Black Op je m'attendais à un festival. J'ai même commandé la version n&b de l'album pour mieux en apprécier l'atmosphère de polar noir. Mais j'avoue ne pas avoir accroché à l'intrigue, Je ne sais si cela est dû à la voix off des premières pages qui alourdit le récit ou encore à un scénario assez bancal, qui en voulant trop rendre hommage au film noir américain, finit par se perdre voire perdre le lecteur, en tout cas j'ai eu du mal à finir cet album. Par contre le dessin de Labiano, dans la version grand format noir et blanc, ne souffre d'aucun défaut, au contraire, l'édition n&b vient renforcer la noirceur du récit. Bref, un avis assez réservé sur ce titre. Dommage.

24/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série A.D. After Death
A.D. After Death

Vieillissant - Ce tome comprend une histoire complète indépendante de tout autre. Il regroupe les 3 épisodes, initialement parus en 2016/2017, écrits par Scott Snyder, dessinés, encrés et peints par Jeff Lemire. Chaque numéro comportait environ 70, aussi des pages de bandes dessinées traditionnelles, que des pages de texte avec une illustration. En 1986, les parents de Jonah Cooke (6 ans) l'emmènent passer quelques jours de vacances en Floride. Sa mère fait un malaise alors qu'ils se sont arrêtés en voyant un objet brillant dans le ciel. Il s'agissait d'un groupe de ballons de baudruches portant un ticket pour un lot gagnant. Au temps présent (dans un futur indéterminé), un individu adulte progresse dans une jungle de plantes inconnues (peut-être d'origine extraterrestre) en se frayant un chemin à la machette. Il transporte un énorme sac rectangulaire sur le dos. Il répond à une voix hachée et pleine de parasites dans sa radio. Il se fait attaquer par des créatures violettes, peut-être végétales, peut-être animales. En 825 AD (AD = After Death), 3 ou 4 humains sont en train de s'occuper d'un troupeau de vaches paisibles sur un haut plateau de la cordillère des Andes. Jonah Cooke indique à l'un des présents qu'il va bientôt partir pour effectuer son service. À l'insu des autres, il a dérobé un veau qu'il a baptisé Darwyn, et qu'il a mis sur le plateau de son pick-up, sous une bâche. Il l'emmène dans son entrepôt où se trouvent de nombreux objets hétéroclites qu'il a également volés, allant d'un piano à queue à une toile de maître en passant par une armure médiévale, une barque en bois, etc. La narration repasse alors à des pages de texte dans lesquelles le narrateur évoque sa jeunesse, et la première fois qu'il a volé un objet, en l'occurrence un lecteur de cassette audio en 1990. Scott Snyder a acquis une forte notoriété en écrivant la série mensuelle Batman. Jeff Lemire a d'abord acquis sa renommée pour ses œuvres indépendantes, avant d'écrire aussi pour des superhéros mais plutôt pour Marvel, puis pour Valiant. le lecteur est à la fois intrigué par l'association de ces 2 créateurs à la forte personnalité et par l'étrange couverture cryptique. Il feuillète le tome pour se faire une idée. Il remarque qu'il s'agit bien des dessins si particuliers de Jeff Lemire, mais aussi que l'ouvrage contient un nombre de pages de texte significatif, près de deux cinquièmes du total. À partir de là, il sait qu'il s'agit d'un récit à la forme originale. Pour beaucoup, des pages de texte dans une bande dessinée constituent une hérésie rédhibitoire : décider de se lancer dans la lecture d'une bande dessinée, ce n'est pas pour se taper des pages de livres. Donc pour une partie du lectorat, les pages de texte font de cet ouvrage un anathème, issu d'une alliance contre nature, et il est alors hors de question de se lancer dans une telle abomination. de la même manière, pour un lecteur de roman, ces dessins pas très jolis aux contours pas très assurés ne font pas très sérieux, et le résultat est également contre nature. Il ne reste donc plus que les lecteurs aventureux se demandant s'il est vraiment possible de réconcilier ces 2 modes narratifs, et les lecteurs éprouvant une forte attirance pour les créations de l'un ou l'autre des auteurs. Effectivement, l'amalgame entre les pages de texte et les pages de bandes dessinées ne se fait pas. D'ailleurs, c'est comme si Snyder & Lemire avaient fait en sorte d'opposer les 2 modes narratifs. Les pages de texte disposent d'une illustration, mais celle-ci semble le plus souvent inutile car elle ne fait que représenter un élément déjà présent dans le texte. Plus surprenant, les auteurs ont fait en sorte que les pages de bandes dessinées ne comportent que le strict minimum en termes de mots. Elles se lisent donc très rapidement, le lecteur n'ayant besoin que de saisir ce qui est représenté. le contraste est donc très fort entre les textes nécessitant du temps pour les lire, et les bandes dessinées se lisant très vite. Jeff Lemire dessine comme à son habitude, en donnant l'impression que ses cases ont été réalisées très rapidement, avec des traits délimitant grossièrement les contours, sans jolis arrondis, avec des traits approximativement jointifs. Les personnages disposent de visages marqués par des plis peu flatteurs. Les lèvres et les yeux sont dessinés de manière grossière. Les vêtements semblent dessinés à la va-vite. Les éléments de décors sont représentés à l'emporte-pièce, sans beaucoup de détails, sans finition, sans texture. Néanmoins le lecteur constate que les pages de bande dessinée se lisent toutes seules, très rapidement, sans aucun doute sur ce qui est montré ou sur ce qui est en train de se passer, malgré l'absence de toute explication, de toute phrase qui serait redondante par rapport aux images. L'avancée à la machette dans l'étrange jungle montre une progression pénible et dangereuse, mais avec une densité d'informations visuelles assez faible. du coup le lecteur lit tout aussi rapidement les passages se déroulant dans ce futur approximatif, après la Mort (AD), sans trop s'y investir. Après coup, il finit par prendre conscience que tout aussi rapidement qu'ils semblent avoir été exécutés, les dessins comprennent finalement des informations autres que le simple fait de montrer ce qui se passe, et que ces informations revêtent un caractère utile pour le récit. de la même manière, Jeff Lemire donne l'impression de remplir ses cases à grand coup de pinceau pour appliquer des couleurs à l'aquarelle, juste pour habiller les dessins, pour qu'ils semblent moins vides. Mais au fur et à mesure, il apparaît qu'il ne s'agit pas que de peinturlurer les cases, et qu'il y a une complémentarité étonnante entre les traits encrés et les couleurs, malgré l'apparence simpliste, presqu'enfantine, de leur association. le lecteur reste un peu moins convaincu par l'intérêt des illustrations accolées aux pavés de texte, sauf peut-être comme rappel visuel de l'existence des pages de bandes dessinés avant et après celles de texte. Une fois entamé l'ouvrage, la promesse de pages de bande dessinée se lisant rapidement constitue comme une récompense pour le lecteur, et l'aide à conserver sa patience pendant les pages de texte. La prose de Scott Snyder s'inscrit dans un registre utile et factuel. Il ne s'attarde pas trop sur les sentiments de ses personnages, préférant raconter, avec de temps à autre une remarque sur l'état d'esprit de Jonah Cooke. le lecteur comprend assez vite que les pages de texte correspondent à la narration de Cooke avant la suppression de la mort. Il découvre donc son histoire personnelle au travers de faits marquants comme les pertes de connaissance de sa mère, et l'acquisition de compétences en matière de vol. Les auteurs ont décidé de jouer avec la chronologie des faits, que ce soit dans le passé, dans le présent, ou dans le passé proche. Ils n'abusent pas de ce dispositif et le lecteur peut facilement identifier à quelle époque se déroule quelle scène. Par contre cela aboutit à une découverte désordonnée des causes et des conséquences. Au fil des différentes séquences, le lecteur découvre comment un groupe d'individus a réussi à retarder l'effet de la vieillesse, jusqu'à rendre une communauté virtuellement immortelle. Il s'agit plus d'un récit de science-fiction que de réelle anticipation. le scénariste fait des efforts pour essayer de rendre la chose plausible, en évoquant des maladies comme un désordre de la néoténie, ou la fibrodysplasie ossifiante progressive (FOP), mais les dessins montrent des éléments tellement étrangers qu'ils réduisent à néant la vraisemblance de ce qui est raconté. Snyder sait y faire pour capter l'attention du lecteur, par exemple avec les vols organisés de Jonah Cooke, portant sur des tableaux, du beurre, et allant jusqu'à voler la veste mortuaire d'un chanteur de country, une malade dans un hôpital, ou même une couleur encore jamais vue. Il développe la sensation d'étrangeté en limitant les contacts humains de Jonah Cooke, en lui faisant évoquer des personnes qui n'apparaissent pas sur la page. Il maintient la curiosité du lecteur avec l'évocation de choses diverses et variées comme le veau Darwyn, un paillasson de bienvenue, la recherche d'un groupe appelé Forager, ou encore l'examen des vêtements de qualité de monsieur Errant possédant une grosse fortune. Sa curiosité ainsi titillée, le lecteur se laisse balader de séquence en séquence, en se disant que tout ça finira bien par former un tout cohérent. Il apprécie quelques observations dénotant des idées aussi décalées qu'horribles, comme la possibilité que l'humanité ait atteint le stade de développement correspondant à la vieillesse et qu'elle s'achemine vers sa mort naturelle, ou comme l'idée que la capacité de la mémoire d'un humain est limitée. Il finit par se laisser surprendre quand l'histoire justifie cette forme si bizarre de pages de texte sur les faits passés, d'une manière naturelle et organique. Il éprouve plus de difficultés à faire passer d'autres éléments comme la survie De Claire, quand même peu probable vue sa maladie et la manière dont Jonah Cooke la transporte. Au final, il apprécie d'avoir lu une histoire complète et cohérente à la fois dans son intrigue et dans sa forme. Effectivement, ce tome constitue une expérience de lecture originale, sortant de l'ordinaire. Pour l'apprécier, il faut que le lecteur accorde sa confiance aux auteurs sur le fait qu'il s'agit d'une structure découlant de l'intrigue, et non pas d'un montage artificiel avec lequel les auteurs ont voulu se faire plaisir. Il finit par tomber sous le charme un peu primitif des dessins. Il se rend compte qu'il ne lui faut pas fournir beaucoup d'efforts pour lire les paragraphes de texte, même si l'écriture de Scott Snyder manque un peu de charme. Il apprécie que les auteurs aient raconté un récit de science-fiction en mettant à profit les conventions du genre pour regarder l'évolution de l'humanité sous un autre angle. Il termine sa lecture, content de la qualité narrative des pages de bandes dessinées, vaguement insatisfait de l'intrigue pour laquelle la forme prend un peu trop régulièrement le dessus sur la forme.

24/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Jack Joseph, soudeur sous-marin
Jack Joseph, soudeur sous-marin

Plonger sous les eaux - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Elle est parue d'un seul tenant, sans prépublication, publiée pour la première fois en 2012. Elle a été réalisée par Jeff Lemire qui a tout fait : scénario, dessins, encrage, nuances de gris. Il commence par une introduction de Damon Lindelof, comparant cette bande dessinée aux meilleurs épisodes de la série originelle Twilight Zone. le tome se termine avec 16 pages d'étude graphique, avec de brèves annotations de l'auteur. Peter Joseph a garé son pick-up face à l'océan. Une légère bruine tombe et il s'allume une clope à l'abri dans son véhicule. Il allume la radio qui diffuse une chanson sur le thème d'Halloween. Il fume tranquillement sa cigarette, puis éteint la radio. Il sort à l'extérieur et prend sa tenue de plongeur sous-marin. Il descend une bière, et revêt sa combinaison, en finissant par les palmes, puis par le masque. Il avance d'un pas professionnel vers l'océan et s'y enfonce très calmement. Des années plus tard, Jack Joseph, son fils, est en train de se raser avec un rasoir mécanique, et il se coupe un tout petit peu : une goutte de sang tombe dans le lavabo. Il regarde l'heure : 06h25. Il s'essuie le visage et va regarder Susan sa femme enceinte, encore endormie. Elle se réveille, lui demande l'heure, et s'il va bien. Il répond qu'il a eu une bizarre sensation de déjà-vu. Un peu plus tard, ils prennent leur petit déjeuner dans un diner désert. Ils papotent tranquillement à propos d'Halloween qui approche et des souvenirs qui remontent chez Jack, du mois qu'il reste avant le terme de Susan, le fait qu'il repart pour une campagne de soudure sous-marine de quinze jours sur la plateforme offshore, le manque d'amie de Susan à part peut-être Marlene la sage-femme. Finalement l'heure est venue que Susan l'accompagne sur la jetée où l'attend le bateau qui va l'emmener en mer à une demi-heure de là. Il l'embrasse et touche son ventre car elle lui indique qu'il est en train de donner des coups de pied. Il sourit en constatant qu'elle est persuadée qu'il s'agit d'un garçon. Jack Joseph confie son sac de marin à Trapper le pilote du bateau qui l'emmène. Puis il monte à bord. Ils ont vite fait de rejoindre la plateforme sur une mer étale. Il dépose ses affaires sur la plateforme et il se met direct à enfiler sa combinaison pour aller se mettre au travail. Son collègue trouve qu'il pourrait prendre un peu plus de temps. Il plonge et descend vers le pied de la plateforme. Il se met au travail pour refaire les soudures qui ont besoin d'être refaites. le travail avance bien, avec des soudures bien droites. Il a l'impression qu'un autre plongeur passe fugitivement derrière à dix ou vingt mètres derrière. Il le signale à son collègue sur la plateforme, mais la communication est très mauvaise. Il a l'impression d'entendre une voix qui lui dit qu'il est temps. Il décide de se mettre à la recherche de la voix, et il aperçoit une montre à gousset sur le fond marin. Sur le bateau, Trapper appelle la plateforme à l'aide, indiquant que le plongeur a un problème. Si le lecteur est familier des œuvres de Jeff Lemire, il n'est pas très surpris par la situation qu'il découvre : une région isolée du Canada, ici la Nouvelle Écosse, un trentenaire un peu désorienté, une relation au père non résolue, avec une narration visuelle aérée et des dessins parfois esquissés. S'il ne le connaît pas, il découvre vite la voix d'auteur de ce créateur. Il habille une partie de ses planches de lavis de gris, donnant la sensation de peintures, apportant ainsi une sensation de texture, de chatoiement lumineux, même quand il s'agit de quelques coups de pinceau grossiers. L'usage de ces nuances de gris marque les scènes du passé et les séquences oniriques, les habillant et transformant l'impression donnée par la planche, qui passe d'esquisses à une planche finie. Effectivement, les traits encrés donnent l'impression d'esquisses, à peine reprises, maladroites par endroit : un trait souvent mal assuré, un contour irrégulier, des visages très marqués par les rides et les plis, des vêtements toujours froissés, des décors pas bien solides, des anatomies malmenées, des visages déformés par des émotions soutenues ou au contraire ingénues. Pour un peu, le lecteur pourrait avoir l'impression d'un film fauché, avec des acteurs pas très sûrs d'eux. Pourtant le charme opère vite. Les personnages semblent très ordinaires, simples, un peu usés par la vie, mais encore vaillants avec un réel entrain, parfois un peu désemparés, parfois un peu énervés, mais rien de vraiment grave. Ils sont en paix avec leur environnement, avec leur petite vie dans un bled paumé, sans beaucoup d'activité, voire aucune. le lecteur ne les prend pas en pitié, il ne les envie pas non plus, en revanche il éprouve une forte empathie pour eux. Il se sent proche d'eux, du fait de cette simplicité. Il n'y a pas d'inquiétude particulière sur l'état du monde, sur le sens de la vie. Dans le même temps, il est apparent que Jack Joseph subit un conflit intérieur qu'il ne sait pas nommer, dont la nature et la source lui échappent. L'artiste utilise une approche naturaliste, dépourvue d'apprêt. Il en va de même pour les principaux environnements. le lecteur a presque du mal à croire qu'un artiste qui semble aussi limité sur le plan technique parvienne à donner corps à ce village en bord de mer, à l'ambiance marine et isolée. C'est vrai que Lemire n'est pas à l'aise quand il représente une voiture ou un pickup : ils semblent être en carton. Pour le reste, c'est une autre histoire. Les décors sont représentés avec la même sensibilité naturaliste que les personnages, avec des contours tout aussi irréguliers. Pourtant les trois pontons de bois semblent très réels, très authentiques. Les quelques maisons sont disséminées sur le talus qui fait face à l'océan, construites comme bon il semblait aux habitants, avec une voirie très basique, un village de fortune, mais aussi un village plausible et d'un réalisme criant. Il en va ainsi des autres endroits : l'intérieur du diner, la plateforme offshore dans une vue d'ensemble, le pavillon bon marché de Susan & Jack, les conduits et les poutrelles de la station offshore, l'échoppe rudimentaire de Peter Joseph, etc. Dans les pages en fin de tome, Lemire explique qu'il a passé beaucoup de temps pour concevoir ce village, et le lecteur en a droit à une vue du ciel dans un dessin en double page. En fait, l'artiste sait restituer la nature des choses et des êtres. S'il a encore un doute, il suffit au lecteur de regarder les objets récupérés par Peter Joseph au cours d'une de ses plongées pour prendre conscience qu'il les reconnaît tous sans aucune difficulté, que l'apparence mal assurée des traits contribuent à transcrire la corrosion et les saletés dues à un long séjour dans l'océan, et qu'il n'y a nul besoin d'un degré de précision visuelle supplémentaire. La narration visuelle coule également de source, l'auteur tirant profit du fait qu'il réalise cette histoire de manière autonome, sans aide extérieure, pour une cohérence parfaite, et la mise en place d'un rythme posé, sans être contemplatif. Il choisit à sa guise la durée de chaque séquence, la répartition des informations entre dialogues et dessins, privilégiant systématiquement les seconds, y compris au cours de séquences muettes. le lecteur comprend ce qui a amené Lindelof à associer cette histoire à un épisode de la Quatrième Dimension : ce n'est pas que l'intrigue, c'est aussi ce ressenti unique de petite ville abandonnée quand Jack Joseph en parcourt les rues en voiture, sans rencontrer âme qui vive. le coeur du récit réside dans ce malaise diffus que ressent Jack Joseph, qui le pousse à travailler pour ne pas avoir à penser, qui l'empêche d'apprécier la compagnie de son épouse, qui ne lui permet pas d'envisager sereinement la naissance de son enfant, de se projeter dans cette situation d'avenir. L'auteur entremêle la vie au présent de Jack Joseph avec des souvenirs qui remontent par association d'idées, sans volonté consciente. le lecteur découvre donc petit à petit ce qui est arrivé au père de Jack, l'importance de la montre de gousset, ce qui génère ce malaise. Il n'y a pas de révélation fracassante, mais une prise de conscience graduelle. Lemire met en jeu avec sensibilité, le refoulement d'un souvenir traumatisant, et la culpabilité enfantine, en montrant, sans jamais recourir à un jargon psychologique, avec une délicatesse touchante. Encore un récit de Jeff Lemire sur une thématique qui revient très souvent dans son œuvre, et qu'il développera avec plus de sophistication dans ses bandes dessinées suivantes comme dans Royal City (2017/2018). Oui, c'est vrai, mais ça n'enlève rien à la poésie qui se dégage des dessins à la fois naïfs et très justes, ni à la sympathie que le lecteur éprouve pour Jack Joseph et ses valeurs. En outre, Jeff Lemire n'a rien d'un auteur naïf : il sait manier des éléments métaphoriques comme la montre symbolisant le temps passé, ou comme l'eau et la plongée, évoquant ce qui existe sous la surface, et la nécessité pour Jack de plonger en lui-même pour découvrir ce qui le meut et l'émeut.

24/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 3/5
Couverture de la série Sentient
Sentient

Doté de conscience, mais pas autonome - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018/2019, écrits par Jeff Lemire, dessinés, encrés et mis en couleurs par Gabriel Walta. Le corps sans vie de l'officier Alex Wu dérive dans l'espace, alors qu'une voix indique qu'il s'agit de l'histoire de leur mère, après qu'ils ont dû embarquer dans un grand vaisseau spatial pour s'en aller. En fait la narratrice n'a gardé aucun souvenir de la Terre. Ce jour-là, Lilly Wu, une enfant, se réveille, et s'empresse d'aller réveiller sa mère Alex Wu. Cette dernière lui souhaite un bon anniversaire, tout en indiquant que Lilly n'aura pas son cadeau avant son retour de l'école. Elle demande l'heure à Valarie, l'intelligence artificielle du vaisseau : il est 06h00. Dans une autre cabine du vaisseau, l'officier Jill Kruger est réveillée par Valarie. Elle va ensuite réveiller son fils Isaac pour qu'il se prépare à aller à l'école. Lilly petit-déjeune en discutant avec sa mère, et en regardant des dessins animés, pendant que le petit déjeuner entre Jill et Isaac est silencieux, sans télé. Finalement les deux paires mère et enfant se rendent à l'école, et se rencontrent sur le chemin. Wu et Kruger laissent leur enfant au bon soin de la maîtresse Clarke, puis s'en vont ensemble rejoindre le capitaine du vaisseau, car c'est un grand jour. Lilly s'empresse de rejoindre les autres pour jouer avant le début de l'école, alors qu'Isaac va chercher un livre pour lire. Les deux femmes ont rejoint la salle de commandement, où le reste de l'équipage est déjà présent et attend les ordres du capitaine Gardner. Elles prennent leur poste, et le capitaine indique qu'ils vont bien pénétrer dans la zone noire où ils ne pourront plus recevoir de communications de la Terre et où ils ne pourront pas encore recevoir de communications de la colonie vers laquelle ils se dirigent. Il demande à Wu quelles sont les dernières nouvelles en provenance de la Terre. Elle répond que les dernières estimations indiquent que la Terre ne sera plus habitable dans 10 ans. Par ailleurs, les incidents continuent dans les colonies, alors que les séparatistes recrutent de plus en plus de personnes. Un ou deux membres de l'équipage peuvent comprendre l'envie de faire sécession d'avec le gouvernement terrestre qui a plutôt mal géré ses ressources. Valarie indique qu'elle va commencer le compte à rebours pour signaler l'entrée dans la zone noire. La tension commence à s'installer parmi les membres de l'équipage, alors que les enfants ont commencé à étudier dans la bonne humeur. Une fois le vaisseau USS Montgomery dans la zone noire, Jill Kruger se lève et présente ses excuses aux autres membres de l'équipage. Elle revêt un masque à gaz et appuie sur un bouton se trouvant sur un dispositif à son poignet. le système de ventilation se met à diffuser un gaz mortel. TKO est une maison d'édition de comics fondée en 2017 par Tze Chun et Salvatore Simeone, ayant fait appel à des créateurs réputés pour leurs premières parution comme Garth Ennis pour Sara avec Steve Epting, et Joshua Dysart pour Goodnight Paradise avec Alberto Ponticelli. le lecteur se réjouit à l'avance de découvrir une histoire complète écrite par Jeff Lemire, auteur prolifique dans la deuxième moitié des années 2010, et illustrée par Gabriel Walta, le dessinateur de Vision de Tom King. Avec cette histoire, le lecteur se retrouve dans une histoire de science-fiction pur jus : un voyage dans l'espace à bord d'un grand vaisseau, en route vers une planète colonie, des relations politiques tendues entre la planète mère, la Terre, et les colonies, le besoin de s'arrêter à une station spatiale artificielle en cours de route, une technologie futuriste pour le vaisseau bien sûr, mais aussi pour les capacités de l'intelligence artificielle permettant de piloter le vaisseau. L'artiste joue le jeu avec un bon niveau d'implication pour donner une forme spécifique au vaisseau, des tenues particulières aux membres de l'équipage et à leurs enfants, pour avoir des interfaces entre humains et ordinateurs reconnaissables et plausibles, pour représenter des couloirs et des salles de vaisseau qui montrent une conception où l'usage prime sur l'aménagement, pour montrer un fond spatial acceptable, essentiellement noir avec une faible luminosité, et peut-être un peu beaucoup d'étoiles. le lecteur se sent à la fois en terrain connu, avec les conventions du genre attendues, à la fois dans un vaisseau assez concret et particulier, et non pas un décor de SF en carton-pâte, prêt à l'emploi, épais comme du papier à cigarette. À la rigueur, il peut aussi trouver que les coursives et certaines salles sont particulièrement spacieuses, ce qui est un peu bizarre pour un vaisseau où la place devrait être comptée. Gabriel Walta réalise des cases descriptives avec un bon niveau de détails pour les différents décors : le lecteur peut aussi bien regarder les quartiers privés des Wu et des Kruger, que les pièces de l'école, ou les salles de travail de l'équipage. Il peut observer les écrans qui permettent de communiquer avec l'intelligence artificielle du vaisseau, ainsi que les outils dont Valarie dispose pour intervenir, à savoir des chariots sur roues, avec des bras de préhension. Il éprouve la même curiosité que Lilly en regardant autour de lui comme elle, quand elle s'aventure dans la station spatiale qui semble déserte. Les personnages présentent une allure normale, avec une morphologie ordinaire, pas spécialement beaux comme des dieux, pas extraordinairement musclés. Leur expressivité reste dans un registre naturaliste, nuancée en temps ordinaire ce qui permet au lecteur de se faire une idée de l'état d'esprit du personnage représenté, et plus maquée sous l'effet de l'inquiétude, de la peur ou de la colère. La majeure partie du récit est consacrée aux enfants, et l'artiste fait de son mieux pour leur conserver la jeunesse correspondante, sans y parvenir tout le temps. Le scénariste éprouve les mêmes difficultés à rester dans un registre plausible pour le comportement et les réactions des enfants. Par un coup du sort, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes, sous la supervision de Valarie, l'intelligence artificielle du vaisseau. Lemire se trouve confronté à la difficulté d'imaginer le comportement d'enfants qui ne sont pas soumis à une autorité parentale, qui ne bénéficient pas du réconfort affectif d'adultes. le lecteur doit faire un petit effort d'adaptation pour se dire que ce qui est montré ne relève pas du reportage sur le vif, et que le scénariste se permet d'user de licence artistique pour le comportement des enfants, quand il choisit de privilégier l'intrigue. Sous réserve de consentir à un peu plus de suspension d'incrédulité, le lecteur peut alors apprécier l'intrigue de manière plus juste. Lemire a su créer une situation dans laquelle des enfants et de très jeunes adolescents se retrouvent encadrés et en mesure de continuer à apprendre. En passant sous silence le processus de construction de l'individu dans de telles conditions, le développement de l'intrigue s'avère satisfaisant. Finalement ces jeunes et très jeunes évoluent dans un environnement protégé, sous une tutelle bienveillante et constructive. Il s'agit donc d'individus dotés de conscience qui apprennent les rudiments des métiers à bord d'un vaisseau, se montrant finalement aussi aptes que leurs parents grâce à l'assistance continue d'une intelligence artificielle. Cet état de fait n'est peut-être pas intentionnel de la part des auteurs, mais il est bien présent. Évidemment au vu de la couverture qui représente le vaisseau spatial USS Montgomery, et de l'omniprésence de Valarie à bord du USS Montgomery, de son rôle d'assistant personnel, de banque de données, et d'outil d'aide à la décision, le lecteur finit par se dire que son aide providentielle n'est pas très éloignée d'une forme de conscience. le scénariste se montre très habile pour rester dans le registre réaliste d'une intelligence artificielle : des interventions à l'évidence préprogrammées, mais aussi une variété d'interventions et une banque de données assurant l'expertise dans plusieurs domaines qui placent les actions de Valarie à la frontière de la vie autonome. du coup le lecteur oscille entre confiance pour la sécurité des enfants, et questionnement sur la pseudo-conscience de Valarie qui peut la conduire à prendre des décisions où elle ferait passer son intérêt en premier. D'une certaine manière elle perpétue le schéma d'organisation sociale des adultes, faisant en sorte que les enfants apportent leur énergie et développent leur savoir-faire pour continuer de faire fonctionner le vaisseau et en assurer la petite maintenance, vaisseau qui abrite les éléments d'ordinateur et les outils qui sont Valarie. Toute la question est donc de savoir quels conseils elle dispensera à ses protégés en cas de rencontre avec des adultes qui, eux-mêmes, peuvent être plus ou moins bien intentionnés, y compris envers le vaisseau, qui voudront sûrement reprendre la main et la direction des opérations, en en dépossédant Valarie. Le lecteur sent bien que cette pseudo-conscience peut déboucher sur des choix s'apparentant à ceux d'un parent abusif, ce qui génère une tension palpable, et une inquiétude parfois malsaine. Jeff Lemire & Gabriel Walta racontent une histoire de science-fiction à l'intrigue simple (des enfants dans un vaisseau spatial, sous la responsabilité d'une intelligence artificielle) et mettant en œuvre au premier degré les conventions de ce genre littéraire. Cela donne un récit linéaire, surprenant, bien réalisé. le titre génère une inquiétude dans l'esprit du lecteur, se demandant si l'intelligence artificielle Valarie ne serait pas sur le point d'acquérir une conscience autonome, ce qui lui ferait passer sa survie en premier, avant celle des enfants. Cette facette du récit est développée avec élégance, compensant le fait que le comportement des enfants est parfois un peu trop mature.

24/04/2024 (modifier)